Le Centre artistique Les Réservoirs
propose une très belle exposition d’estampes, au travers du regard singulier de 4 artistes de talent, Amélie Barthélemy, María Chillón, Marie-Noëlle Deverre et Noémie Privat. Sur une idée originale de Muriel Baumgartner, plasticienne et professeur de gravure, cette 4ième biennale est résolument engagée. «
L’art a souvent symbolisé la situation de dépendance de la femme : les artistes sont des hommes, la femme est la muse, source d’inspiration pour la peinture ou la sculpture, elle est le modèle et l’amante.
» précise Muriel Baumgartner. En prolongeant la réflexion d’un questionnement sur l’existence d’un art au féminin, dans la lignée de la grande rétrospective sur les femmes artistes « Elles », au Centre Beaubourg, ce sont plus de 80 œuvres qui ornent superbement les cimaises des Réservoirs. En taille-douce, taille directe ou à l’acide, burins, eaux-fortes, pointes sèches, aquatintes et monotypes offrent un aperçu assez vaste des différentes manières de graver. Le travail d’Amélie Barthélemy essentiellement axé sur le monotype, application d’une surface peinte fraîche sur une autre surface à imprimer, aborde avec originalité «
l’enveloppe du rhinocéros ». Etudié, sondé et quasiment radiographié, le rhinocéros «
métaphore de la complexité, de l’ambivalence de notre nature
humaine et des détours inattendus de nos chemins de vie » se présente, lorsqu’il est irisé, comme une fable lyrique, aux inspirations proches de celles de Zao Wou-Ki. María Chillón, préférant quant à elle le burin, né dans les ateliers des orfèvres au XVe siècle, «
dont le mouvement libre et sensible rend la ligne vivante » creuse le sillon « des volumes, des objets et des corps qui nous dévoilent un monde ambigu
». Se mêlant et s’enlaçant d’ombres et de lumière, on y retrouve de la douleur et de la fragilité, du plaisir et de l’amour, émotions de l’esprit incarnées dans le corps du trait.
Marie-Noëlle Deverre, s’interroge, elle, sur ce que lui «
offre le quotidien ou le hasard, avec une prédilection pour tout ce qui rappellent les mues, les chrysalides, les carapaces ou les coquilles ». Gravés à la pointe sèche sur des cartons d’emballage, les œuvres de l’artiste, transformables, s’inscrivent dans une relation du corps à l’enveloppe, se recyclent et renaissent.
Noémie Privat affectionne « les images fragments » découpées quelque part et collectionnées. A l’eau-forte, gravée en creux sur une plaque métallique, l’œuvre est alors restituée selon le désir de l’artiste. Métamorphose et transformation, l’œuvre se laisse appréhender dans une autre forme de réalité. Même si «
l’estampe a toujours été considérée comme la « petite sœur » des autres arts, elle tient pourtant une place de premier ordre dans la monde de la création car, elle offre à l’artiste des possibilités d’expression unique où l’image se crée dans des couches de profondeur différentes, le dessin se sculptant ainsi à la frontière entre la bi dimensionnalité et la tridimensionnalité
» précise María Chillón. Dans le secret silencieux et patient de l’atelier où le goût de la matière est primordial, la gravure devient l’écriture de l’intime, morceaux de vie faits de creux d’angoisses, ciselés dans l’espace cuivré d’une plaque burinées d’émotions. «
En laissant place à l’imprévu, les techniques de l’estampe sont très nombreuses et exigeantes. Pratiquer l’estampe est un chemin de liberté
» conclu Amélie Barthélemy, preuve, comme le prétendait Ernst Ludwig Kirchner que «
nulle part ailleurs que dans ses gravures on n'apprend à mieux connaître un artiste
».
Ephraïm Jouy in Le Courrier de Mantes Edition à propos de la Quatrième Biennale de Gravure de Limay, 2010.