Pour évoquer mon travail plastique je citerai ce texte,
extrait de « Armoires » dans
Enfance berlinoise de Walter Benjamin
:
« La première armoire qui s’ouvrit lorsque je le désirais fut la commode. Je n’avais qu’à tirer sur le bouton, la porte s’ouvrait avec déclic et venait vers moi. On gardait mon linge à l’intérieur. Mais au milieu de toutes mes chemises, mes culottes, mes gilets qui doivent avoir été empilés là et dont je ne sais plus rien, il y avait quelque chose qui ne s’est pas perdu et qui redonne toujours à l’accès de cette armoire un aspect aventureux et séduisant. Il fallait que je me frayasse un chemin jusqu’au coin le plus reculé, au fond : je tombais alors sur mes chaussettes qui se trouvaient là, empilées et rangées à la manière traditionnelle, c'est-à-dire roulées et enveloppées de telle sorte que chaque paire avait l’aspect d’ une petite bourse. Aucun plaisir ne surpassait à me yeux celui de plonger ma main aussi profondément que possible à l’intérieur. Et pas seulement à cause de la chaleur laineuse de cette petite bourse. C’était la « chaussette du dedans » que je tenais dans ma main à l’intérieur de la bourse qui m’attirait ainsi dans les profondeurs. Lorsque je l’avais étreinte avec mon poing et que je m’étais assuré de mon mieux de la possession de la molle masse de laine, commençait la seconde partie du jeu, qui devait se terminer par l’apparition bouleversante de la chaussette. Car maintenant je voulais déployer la « chaussette du dedans » hors de sa bourse de laine. Je la tirai un peu plus vers moi, jusqu’à ce que s’accomplisse le phénomène qui me plongeait dans la consternation : la « chaussette du dedans » était tout entière déroulée et sortie de sa bourse, mais celle-ci n’était plus là ! Pas assez souvent à mon gré je pus ainsi faire l’expérience de cette vérité énigmatique : la forme et le contenu, l’enveloppe et l’enveloppé, la « chaussette du dedans » et la bourse sont une seule et même chose. Une seule chose, et une troisième chose aussi, il est vrai : cette chaussette, fruit de leur métamorphose. Si je songe à la curiosité insatiable avec laquelle je provoquais ce miracle, je suis fort tenté de voir dans mon truc un pendant, un petit frère des contes. Eux aussi m’invitaient dans le monde des esprits et des sortilèges pour finalement me rendre immanquablement à la réalité nue, qui m’accueillait pour me consoler comme une chaussette de laine »
Marie-Noëlle Deverre